Qu'est ce qu'un accompagnement au discernement ? 

 

C'est avant tout un temps d'arrêt. Discerner c'est commencer par s'arrêter pour poser le regard et respirer amplement. On connaît ces expressions : sortir la tête hors de l'eau, sortir la tête du guidon. Ces images sont parlante car c'est bien de cela qu'il s'agit : suspendre l'action pour s'en détacher, lever les yeux vers l'horizon et retrouver son souffle. 

 

Prendre le temps de discerner c'est aussi faire taire en soi tous les "je dois" ainsi que les "tais-toi c'est comme cela" pour se mettre à l'écoute d'une voix qui vient d'ailleurs (inspiration) ou de l'intérieur (aspiration) et qui parle en nous.

 

Prendre le temps de discerner c'est alors se confronter à notre liberté et à notre vérité. Pourquoi suis-je en train de pédaler comme un dératé ? Où me mène ce fleuve qui m'emporte ? Quelle est ma joie aujourd'hui ? 

 

Il fut un temps où on dénonçait un mode de vie aliénant par l'expression "métro-boulot-dodo". Mais il n'y a pas que la routine imposée par le monde du travail qui nous aliène. On peut passer sa vie, voire passer à côté de sa vie, en enfilant des verres ou des nuits d'amour, en luttant avec des performances ou en s'enivrant d'écran, en se racornissant sur son conjoint ou sur ses enfants, en se perdant dans une cause ou en se noyant dans les smileys.

 

Rien de très neuf sous le soleil, tout peut faire farine au moulin de l'aliénation. C'est en soi une très bonne nouvelle car cela révèle qu'aucune action n'est en elle même aliénante. C'est moins l'action que notre manière de nous impliquer qui pose problème. Il est trop court de dénoncer les sirènes que peuvent être le divertissement, la performance ou le rendement. Le slow-live, l'ascèse, le zen ou le yoga peuvent tout autant nous aliéner !

 

Tout ne se vaut pas pour autant. D'une part certaines activités sont plus aliénantes que d'autres du fait de leur potentiel addictif. D'autres part, certaines situations existentielles (sociales, politiques, économiques,...) nous enferment malgré nous dans des cages plus ou moins dorées. Mais ces réalités, même si elles sont contraignantes, n'en restent pas moins contingentes. 

 

La vraie question est ailleurs : qu'est-ce qui fait que malgré notre soif de vivre, nos élans de coeur, l'authenticité que nous engageons dans nos choix et dans nos relations, tout ce que nous entreprenons peut se transformer en son contraire et devenir un espace d'asservissement ? Comment se fait-il que nous puissions en arriver à "désaimer" l'être qu'on aimait ? Comment se fait-il que nous puissions mourrir d'asphyxie dans un projet qui nous enthousiasmait ? Comment se fait-il que nous puissions oublier de vivre ? 

 

Mais si ce ne sont les sirènes qui nous vampirisent  qu'est-ce qui nous aliène ? Est-ce la peur de vivre ou celle de mourir ? Est-ce la peur de liberté ? Est-ce la peur d'être soi, différents des autres ? Sont-ce des enjeux psycho-affectifs qui nous hantent ? Ces questions sont loin d'être oisives. Et ce n'est pas en leur opposant le poids de la réalité qu'on peut les faire taire : nos symptômes en témoignent ! La résignation en est un et non des moindres ! 

 

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de situations lourdes et pénibles. Cela veut simplement dire qu'aucune situation ne peut nous empêcher de penser à notre existence. Qu'est ce que je fais de ma vie ? Pourquoi en suis-je là ? Qu'est-ce que je peux (y) faire pour retrouver ce qui lui donne sens ? Qu'est-ce qui m'éveille et m'émerveille ? Qu'est-ce qui m'anime en profondeur ? Qu'est-ce qui me nourrit et étanche ma soif ? Ces questions peuvent se décliner autrement : qui donne sens à ma vie, m'éveille et m'émerveille, m'anime, me nourrit et étanche ma soif ? Qui est source de joie pour moi ? Pour qui suis-je source de joie ? Et plus fondamentalement encore qui est source de vie pour moi ? 

 

Ces questions s'égrènent au fil de nos jours si tant est qu'on leur prête l'oreille. Souvent elles restent comme des lettres en souffrance. En fait elles attendent qu'on leur accorde un peu de temps. C'est le temps du travail de discernement. Ce travail chemine entre sagesse, philosophie et psychologie. Il est utile de converser sur ce chemin car la voie de l'Orient, celle qui mène au soleil levant et nous amène à ce qui source en nous, ne se découvre qu'au fil des rencontres et des dialogues. C'est que l'Orient n'est ni une terre promise ni une compétence à acquérir : c'est un mode de vie à emprunter !